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French to English: L'Enfance de Sarah / Sarah's Childhood General field: Art/Literary Detailed field: Poetry & Literature
Source text - French ORIGINAL TEXT: "L’Enfance de Sarah"
Tu l’as connue plus tard, cette vieille femme délavée par les chagrins qui avaient raviné en creux sur les plis et les rides de sa peau jusqu’à faire d’elle une incarnation humaine de l’usure. Tu as noté son accent difficile à identifier. Plus tard, tu as appris son nom. Mais tu ignores qu’elle répondait au double prénom de Rachel et—ironiquement—d’Allegra.
Lorsqu’elle a sonné à notre porte par un froid après-midi de février, je l’ai prise pour une des quémandeuses de ma mère qui ne pouvait se passer des charités dont elle se plaignait d’ailleurs sans cesse. J’étais dans ma chambre à faire mes devoirs. Je n’étais au fait de rien. Non. Je n’étais préparée à rien de semblable.
Au coup de sonnette, j’ai entrebâillé la porte. J ‘ai surpris le nom exotique de Mme Abravanel et son accent qui détonnait sur le style habituel des parasites de ma mère. J’ai saisi que Mme Lambert manifestait une réaction vive à l’endroit de la visiteuse. Craignant d’être découverte, j ‘ai refermé la porte sur le bourdonnement des voix que je ne parvenais plus à identifier. A un moment, cependant, l’étrangère avait élevé la sienne et j’avais entendu :
--L’enfant est-elle là ? Je désirerais la voir !
J’ai poussé doucement le battant. Ma mère répondait :
--Un peu plus tard. Mais d’abord veuillez entrer dans le salon. Je voudrais vous parler.
Elles étaient alors passées dans la pièce de réception, me laissant sur ma curiosité. Qui pouvait bien être cette enfant que réclamait l’étrange dame ? A cette époque, à la maison, l’enfant, c’était mon petit frère. Mais l’inconnue avait usé du
terme au féminin et ma mère aussi. Je filais sur mes dix-sept ans. A mes propres yeux, je ne pouvais plus être rangée dans la catégorie des enfants.
J’ai donc décidé que c’était impossible. Après tout, ce devait être une histoire relative aux bénéficiaires de ma patronnesse de mère. Mais pourquoi avait-elle dit : « Vous la verrez plus tard » ? J’ai essayé de me concentrer sur la composition de physique du lendemain. Mais mon esprit était au salon.
Au bout d’une heure environ, j’ai perçu une rumeur qui indiquait que le ton montait, et puis des éclats de voix. Mme Lambert s’était donné, et m’avait donné pour règle, de ne jamais dire un mot plus haut que l’autre. J’ai eu du mal à me persuader que c ‘était bien elle qui criait ainsi. J’ai tendu alors l’oreille aussi fort que je pouvais, et j’ai discerné sa voix qui couvrait celle de l’inconnue. Ma mère coupait la parole à son interlocutrice, parlait en même temps qu’elle. J’étais ébahie.
J’ai quitté ma chambre sur le point des pieds et me suis glissée dans le couloir, dont une des portes donnait directement sur le petit salon. J’y ai collé mon oreille. J’ai entendu alors distinctement Mme Lambert prononcer sur un ton emporté que je ne lui avais jamais entendu :
--Jamais... ! Vous entendez... jamais !
Il y a eu un bruit de porcelaine brisée. Pendant un moment qui m’a paru long mais n’a duré sans doute que quelques secondes, plus rien. Soudain une espèce de sanglot vite étouffé a déchiré le silence. Puis, à nouveau, la rumeur d’une conversation, à un rythme et sur un timbre presque normaux.
Enfin, j’ai entendu résonner le pas de ma mère. Je me suis reculée rapidement, suis rentrée dans ma chambre et me suis jetée sur mon lit.
--Sophie !
C’était bien moi qu’on appelait.
--Sophie... Peux-tu venir un instant... !
J’ai eu le réflexe de lisser mes cheveux et de tirer mon pull-over, comme on me le recommandait avant de dire bonjour, et j’ai pénétré dans le petit salon. Mme Lambert était debout, à proximité de la fenêtre. La dame était enfoncée dans un fauteuil dont sa tête émergeait à peine. Sur le guéridon, à côté du plateau de thé, j’ai remarqué les débris d’une tasse de porcelaine. C’était le beau service de Chine que ma mère ne sortait que pour les grandes occasions. Elle devait être bien fâchée.
--Sophie, je te présente Mme Abravanel. Mme Abravanel habite l’Argentine. C’est pourquoi nous n’avons pas eu l’occasion de la voir jusqu’à présent. Mais c’est une parente à toi... Je veux dire à nous. Et elle souhaitait vivement te rencontrer.
L’inconnue me regardait avec une fixité qui m’a désorienté et m’a donné envie de fuir.
--Bonjour, madame. J’espère que vous avez fait un bon voyage.
Si j’avais eu quelques années de moins, j’aurais fait ma révérence, celle avec laquelle je me taillais un franc succès auprès des amies de Thérèse Lambert : une flexion de la jambe gauche, l’extrémité du pied droit venant effleurer le sol comme si on allait mettre un genou en terre. J’aurais été tranquille après cela, on ne m’aurait plus demandé de donner des gages de petite fille bien élevée. On m’aurait laissée partir librement. Seulement je n’avais plus l’âge de tirer ma révérence.
Mme Abravanel ne s’est pas contentée de la main que je tendais vers elle et elle m’a embrassée avec violence, avidement. J’ai mis un moment à m’en remettre. Il
n’était pas de mise chez les Lambert de se serrer ainsi. Même si le soir, avant de me coucher, mes parents me baisaient au front, c’était toujours en observant les distances. Et je ne me souviens pas que mes lèvres aient jamais rencontré la peau de Mme. Lambert.
Cette étreinte, ce baiser m’ont dérangée comme une incongruité, pire, comme une obscénité. J’ai détourné mes yeux de la dame, engoncée dans sa robe noire trop neuve qui s’était levée de toute sa petite taille pour m’enlacer. Je me suis enfuie dans ma chambre, dont j’ai refermé la porte avec brutalité, en poussant le verrou. La voix sermonneuse de Thérèse Lambert m’a poursuivie jusque sur le lit où j’avais trouvé refuge en enfonçant ma tête sous l’oreiller.
--Sophie... Voyons... En voilà des manières...
Il y a eu encore entre elles des conciliabules. Et puis leurs pas qui se dirigeaient vers l’entrée, vers la sortie.
J’ai entendu encore la voix de la petite dame qui roulait les r.
--Vraiment, vous auriez dû le lui dire. C’est inconcevable.
Et puis juste au moment de partir :
--J’ai votre parole, madame Lambert. Et je m’y tiens.
Le bruit sec de la fermeture de la porte m’a confirmé que l’intruse avait quitté la maison.
Je tremblais de la tête aux pieds lorsque ma mère a frappé à la porte de ma chambre. Il y avait de quoi. J’ai ouvert. Elle est entrée avec une expression que je ne lui avais pas encore vue. Et je crois bien, avec le recul, qu’elle devait trembler aussi.
Elle m’a pris les mains. Elle savait, nous savions alors que l’aveu du désastre ne pouvait plus être différé.
Que je devais apprendre, à seize ans et demi, que je n’étais pas Sophie Lambert, fille de Thérèse et de François, mais Sarah Solal, fille d’Abraham et Thamar, juifs, déportés, morts quelque part en Allemagne ou en Pologne. Que j’avais eu deux frères et une sœur aînée, les jumeaux David et Joseph, et Rébecca, déportés, morts quelque part en Allemagne ou en Pologne, les premiers à l’âge de six ans, la dernière à huit ans. Que Rachel Abravanel, dont je venais de faire la connaissance, était, avec moi-même, la seule survivante de la famille. Que cette dame était la sœur de ma grand-mère Sarah Calderon, déportée avec son mari Moïse, tous deux morts quelque part en Pologne ou en Allemagne, comme les autres, entre 1943 et 1944. Et que ceux qui avaient quitté en 1942 l’appartement du cinquième au dessous de chez nous étaient mes véritables parents.
Jésus m’avait bien déjouée. Je lui avais réclamé une autre mère, une autre famille, une autre identité. Il m’avait exaucée. Au-delà de toute attente.
Sarde, Michèle. Histoire d'Eurydice pendant la remontée. Paris: Editions du Seuil, 1991.
Translation - English TRANSLATED TEXT: “Sarah’s Childhood”
You met her later, that old lady worn down by the sorrows that hollowed out the folds and wrinkles of her skin until she could have passed for the human incarnation of erosion. You noticed her difficult-to-place accent. Later, you learned her name. But you weren’t aware that she answered to the double first name of Rachel and— ironically—Allegra.
When she rang our door on that cold February afternoon, I mistook her for one of the hangers-on that hovered around my mother, who couldn’t pass up her charitable activities that she nonetheless complained about tirelessly. I was in my room doing my homework. I didn’t have a clue. Not one. I wasn’t prepared for anything of the sort.
At the sound of the bell, I cracked open my door. Madame Abravanel’s exotic name surprised me as much as her accent that clashed with the typical style of my mother’s parasites. I realized that Madame Lambert had a strong reaction to the lady visitor. Not wanting to be caught, I shut the door on the buzzing voices I could no longer recognize. However, at one point, when the stranger raised her voice, I heard:
“Is the child here? I’d like to see her!”
I gently cracked the door ajar. My mother replied:
“A little later. But first, please come into the living room. I’d like to speak with you.”
Then they entered the living room, leaving me to my piqued curiosity. Who could she be, this child the strange lady was asking about? In those days, the only child in the household was my little brother. But the visitor, like my mother, used the feminine “she” and “her.” I was fast approaching seventeen. To my way of thinking, I could no longer be classified as a child.
Therefore, I decided it was impossible that “child” referred to me. After all, it probably had something to do with the beneficiaries of my mother, Lady Bountiful. But why did she say “You’ll see her later”? I tried to concentrate on my next day physics exam, but my thoughts were elsewhere.
About an hour later, I detected a murmur indicating that the conversation was heating up, then loud voices. Since I’d been taught to emulate Madame Lambert’s self-imposed rule of never uttering one word louder than another, it was difficult to convince myself that it was indeed she who was shouting. I strained to hear as much as possible and recognized her voice talking over the stranger; my mother was interrupting her interlocutor. I was stunned.
I tiptoed out of my bedroom and slipped into the corridor, whose doors opened directly onto the living room. I glued my ear to the door. Then I distinctly heard Madame Lambert say angrily, in a tone of voice she had never before used:
“Never...! You understand... never!”
Then, the sound of shattered porcelain filled the air for a few seconds that, to me, felt like an eternity. Dead silence. All of a sudden, a kind of sob, quickly stifled, broke the stillness. In its wake came the murmur of a conversation whose rhythm and tone were almost normal.
Finally, I heard my mother’s footsteps. I retreated quickly back to my room and threw myself on the bed.
“Sophie!”
I was definitely the one being summoned.
“Sophie... Can you come here a minute...!”
I instinctively smoothed down my hair and tugged at my pullover, as I had been instructed to do before greeting guests, and walked into the living room. Madame Lambert was standing near the window. The lady was sunk deeply into an armchair from which her head barely emerged. On the side table next to the tea tray, I noticed the fragments of a broken cup, the beautiful Chinese porcelain that my mother saved for special occasions. She was undoubtedly very angry.
“Sophie, I’d like you to meet Madame Abravanel. Madame Abranavel lives in Argentina and that’s why we haven’t had the opportunity of meeting her until now. But she’s your relative--I mean our relative, and she’s very eager to meet you."
The unknown woman stared at me so intently that I was beside myself and wanted only to flee.
“Hello, Madame. I hope you had a good trip.”
If I’d been a few years younger, I would have executed my curtsy that was a great hit with Madame Lambert’s friends: Left knee bent, tip of the right foot grazing the ground, as if I were going to kneel. Afterwards, they would have left me alone and expected no more tokens of my proper little girl upbringing. I would have been able to leave when I wished. Nevertheless, I was no longer at the age of bowing out.
Madame Abranaval wasn’t satisfied with the hand I extended ceremoniously as I had been taught. She embraced me forcefully, avidly. It took a while for me to recover. In the Lambert house, passionate hugging was considered unseemly. Even when my parents kissed my forehead before bedtime, they always kept their distance. And I don’t recall my lips ever once having come into contact with Madame Lambert’s bare skin.
That hug, that kiss, struck me as improper or, worse, obscene. I averted my eyes from the lady, who, unnaturally constrained in her brand new black dress, had stood up as tall as possible to envelop me in her arms. I escaped to my bedroom, slammed the door shut, and turned the lock. Thérèse Lambert’s sermonizing voice pursued me up to the very bed where I took refuge by burying my head in the pillow.
“Sophie... Come now... What a way to behave...”
They conferred once more between themselves. And then their footsteps advanced towards the entrance, towards the exit.
I heard again the voice of the petite lady who rolled her r’s.
“You really should have told her. It’s inconceivable.”
And then, just as she was leaving:
“I have your word, Madame Lambert. And I’m counting on it.”
The click of the closing door confirmed that the intruder had left.
When my mother knocked on my bedroom door, I was shaking from head to foot. Rightly so. I opened the door. I had never before seen the expression she had on her face at that moment. In retrospect, I believe that she must have been trembling as well.
She took my hands. She knew, we knew, that we could no longer defer acknowledging the disaster.
At sixteen and a half, I had to learn that I was not Sophie Lambert, daughter of Thérèse and François, but Sarah Solal, daughter of Abraham and Thamar, Jews, deported, dead somewhere in Germany or in Poland. That I had had two brothers and an older sister, the twins David and Joseph, and Rebecca, deported, dead somewhere in Germany or Poland, the brothers six years old, the sister, eight. That Rachel Abravanel, whom I had just met, was, together with me, the only survivor of the family. That this lady was the sister of my grandmother, Sarah Calderon, deported with her husband Moïse, both dead somewhere in Poland or in Germany, like the others, between 1943 and 1944. I had to learn that the people who, in 1942, had vacated the fifth floor apartment under us, were actually my parents.
Jesus had certainly outwitted me. I had requested another mother, another family, another identity. He granted my wish. Beyond my wildest dreams.
Translation excerpted from Histoire d'Eurydice pendant la remontée by Michèle Sarde. Paris: Editions du Seuil, 1991.
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PhD - New York University, New York, NY
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