Billet initialement écrit en deux parties (
Le marché de la traduction en France depuis 2010 & Les grands groupes de traduction en France), que j'ai finalement décidé de réunir en un seul pour une question de cohérence, en effaçant les doublons.
Après avoir tenté d’évaluer, il y a un an déjà,
combien pèse vraiment le marché de la traduction dans le monde, condition préalable pour
identifier son propre marché de la traduction et se positionner par rapport à la concurrence, il est temps d'affiner un peu l'analyse en me concentrant sur
le marché français de la traduction (où l'adjectif "français" doit être considéré dans son sens géographique, plutôt que linguistique).
Au début, je me suis lancé dans ce travail parce que chaque fois que j’essayais d'en savoir plus sur la question, je ne trouvais rien, sinon des infos fragmentées, dépassées, et au final peu pertinentes.
Exemple avec la dernière étude disponible de l’Observatoire de la Traduction de la CNET (
publiée en 2010 et portant sur l’année 2009), qui me semble largement lacunaire au regard de la situation actuelle. Ou encore avec
ce billet, basé sur cette même étude :
...la France reste un marché très fragmenté, peuplé de près de 3000 traducteurs indépendants et environ 400 sociétés de traduction qui se partagent un marché d’environ 1 milliard d’euros.
(...)
Mais à y regarder de plus près, on voit bien que parmi ces 400 sociétés, seules les 300 premières réalisent un CA supérieur à 200K€, témoignant (à première vue et à priori) du bien-fondé de leurs services.
Or ma recherche sur Infogreffe, détaillée plus avant, montre que nous sommes loin du compte : il ne s'agit pas "
de 3000 traducteurs indépendants et environ 400 sociétés de traduction qui se partagent le marché", mais bien d’une
vingtaine de milliers d’acteurs : environ
8 000 traducteurs et 12 000 sociétés, dont 1/1000e (les 12 groupes que je détaille plus loin) représentent à eux-seuls près de 300 millions € de CA, en ne comptant pour ORTEC que la partie "traduction et documentaire", ce qui est tout à fait énorme.
Et cela sans compter SDL, Lionbridge, Transperfect et autres multinationales des services linguistiques qui opèrent également en France (et plus généralement sur le marché francophone), écartées de cette analyse puisqu’il m'est impossible de quantifier de manière fiable la part que représente le marché français proportionnellement à l'ensemble de leur C.A. mondialisé.
Exemple pour Lionbridge avec le
C.A. 2013 : presque 489 M$ dont 70,2 % seulement représentent la partie Langues (traduction, localisation, interprétation, etc.), soit un peu moins de 115 M$ juste pour l'Europe de l'Ouest. Or comment calculer la seule part de la France, ou du seul marché français qui dépasse les frontières hexagonales ? Tout cela ne serait qu'une pauvre approximation...
Idem pour HP ACG ou pour d’autres groupes signalés parmi les principaux acteurs de ce secteur, comme le
MAPI Institute qui est mentionné dans les fiches sectorielles de l’INSEE, et dont le C.A. serait
supérieur à 10 millions € (voir également
ici), mais Infogreffe nous informe que cette société fait partie d'une autre catégorie (
7320Z : études de marché et sondages) et qu'elle est radiée depuis le 20 janvier 2014. À vérifier donc. Si quelqu'un en sait davantage...
Par conséquent mon parti pris pour mener cette analyse a été de ne rechercher avec les moyens du bord que des données accessibles à tous, et si possibles « officielles » - INSEE, Infogreffe, communication institutionnelle des groupes et des sociétés, notes d'investisseurs -, en me réservant quelques estimations prudentes chaque fois qu’il me semblait nécessaire de combler une lacune (pour Optilingua International et CPW Group, par exemple).
Pour parvenir au final sur des chiffres et un ordre de grandeur indiquant que le marché est largement sous-estimé, et qu'aucune étude sérieuse n'en rend vraiment compte à ce jour (même s’il est vraisemblable que
l’estimation d’un marché français de 1 milliard d’euros peut être retenue par défaut, comme base prudente de calcul), à une époque où
la langue française semble connaître un regain dans le monde.
J'ai ainsi été surpris de découvrir de nombreux acteurs dont j'ignorais l'existence ou l'importance, mais surtout la quantité de "groupes" pour la plupart nés en France qui réalisaient des CA aussi significatifs.
La rédaction du
premier billet m'a conduit ensuite à
approfondir la réalité de ces groupes, amenés à jouer un rôle significatif pour notre marché. Ce n'était pas prévu au départ, mais la nécessité en est devenue de plus en plus évidente au fur et à mesure que j'avançais.
En termes de volumes d'affaires, au niveau de l’incidence du marché dans son ensemble, il est pratiquement impossible de parvenir à un chiffre précis, donc je procéderai par estimations sur le nombre d'acteurs - sociétés et professionnels exerçant en libéral -, en partant d'un
vieux fil de discussion sur Proz, qui rapportait le nombre d’entreprises du secteur "traduction et interprétation" (code activité 7430Z) en France pour les années 2008 (11 069 entreprises) et 2009 (13 828 entreprises).
En continuant sur le site de l'INSEE, j'ai vérifié les valeurs correspondantes pour les dernières années disponibles, qui sont
2010 (11 172 entreprises) et
2011 (10 482 entreprises).
Par conséquent, sur 4 ans, de 2008 à 2011, nous obtenons une moyenne annuelle de
11 638 entreprises pour la France (que j'arrondirai à 12 000 le cas échéant).
J'ai vérifié ensuite sur
Infogreffe les entreprises du secteur par département (données recensées le 8 avril 2014), où pour chaque département le chemin à suivre est : 74 AUTRES ACTIVITÉS SPÉCIALISÉES, SCIENTIFIQUES ET TECHNIQUES --> 7430Z TRADUCTION ET INTERPRÉTATION.
Total des acteurs impliqués (sociétés + traducteurs-interprètes en profession libérale) pour les 22 Régions en Métropole plus les DOM-TOM :
19 813 (que j'arrondirai à 20 000 le cas échéant).
En effet, si nous n'avons qu'environ 12 000 sociétés sur ce total de 20 000, cela signifie que les traducteurs-interprètes exerçant en entreprise individuelle représentent grosso modo
40% des acteurs (env. 8 000) du marché de la traduction en France.
Quant à leur répartition géographique, elle se divise en trois blocs :
- La Région Île de France l'emporte haut la main avec 38,28% des entreprises : 7 584 ;
- Le deuxième bloc comprend huit Régions qui dépassent respectivement 3% : Rhône-Alpes, PACA, Aquitaine, Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées, Bretagne, Alsace, Pays de la Loire, soit 42,37% avec 8 396 entreprises ;
- Le troisième bloc comprend les DOM-TOM et les 13 Régions restantes qui sont en-deçà de 3% : Nord-Pas-de-Calais, Centre, Poitou-Charentes, Lorraine, Haute-Normandie, Basse-Normandie, Bourgogne, DOM-TOM, Auvergne, Picardie, Limousin, Franche-Comté, Champagne-Ardenne, Corse, soit 19,35% avec 3 833 entreprises.
Voici le tableau correspondant :
En clair, les neuf premières Régions totalisent 15 980 entreprises et s'accaparent 80,65% du marché !
Voici une représentation visuelle "pondérée" plus parlante :
D'un certain point de vue, c'est peut-être aussi grâce à cette présence polyglotte massive que Paris fait partie des
3 capitales mondiales jugées les plus attractives par les investisseurs :
Ceci étant, vu qu'il m'est impossible d'analyser le C.A. de toutes les entreprises qui le communiquent, l'idée de base était de me concentrer sur les principaux acteurs du marché, généralement connus et reconnus.
Guillaume, d'Anyword, qui avait publié en 2009 un billet fort intéressant : "
Les principales agences de traduction en France", proposait
en octobre 2012 l'ordre de grandeur suivant :
En estimant à 20 millions d’euros le CA du premier français, qu’il s’agisse d’A.D.T, de Tradutec ou de Telelingua, et à 800 millions € le CA global de la traduction en France.
L'une des personnes interviewées dans son billet, Maciek, fondateur de Sopoltrad (1995) (agence basée en Pologne et spécialisée depuis de nombreuses années dans les langues d’Europe centrale et d’Europe de l’Est), précisait par ailleurs :
le marché est assez grand pour tous : à partir du moment où le leader français pèse moins de 3% du marché national...
Ce qui nous donnerait un C.A. compris entre 20 et 24 millions € pour la première société française. Nous allons donc tenter de vérifier si cette affirmation est toujours vraie en 2014, pour un
marché mondial de la traduction qui devrait atteindre 15 milliards € en 2015 (et le double pour les technologies de la langue dans leur ensemble).
Donc si l’on suppose un
volume global de 1 milliard d’euros uniquement pour le marché français en traduction, cela signifie que l’année prochaine
ce marché devrait représenter à lui seul 1/15e du marché global !
Sans s’aventurer à l’évaluer à 2 milliards € en considérant l’ensemble des technologies de la langue (si quelqu’un a des infos à partager…), remarquons toutefois que ce chiffre est tout à fait plausible, non seulement compte tenu de ce qui précède, mais également en faisant un simple calcul : nous avons vu qu'Infogreffe recense environ 20 000 acteurs, toutes formes d'exercice du métier confondues, or 1 milliard € divisé par 20 000 ça ne ferait jamais que
50 000 € de CA de moyenne, et cela sans compter toutes les multinationales de la langue qui interviennent également sur le marché. Il s'agit donc clairement d'une estimation par défaut.
* * *
Ma première constatation fut qu'aucun des acteurs sur lesquels j'ai pu recueillir des informations n'atteignait aujourd'hui 20 millions !
Un cap rapidement franchi, toutefois, dès que l'on passe à certains groupes pour lesquels la traduction n'est plus qu'une des activités parmi d'autres, comme pour ORTEC et Ubiqus, par exemple...
Quant à l'origine des groupes que j'ai retenus, elle est essentiellement enracinée sur le marché francophone (France, mais aussi Belgique pour Telelingua ou Suisse pour Optilingua International), même si tous tendent de plus en plus à se diversifier pour partir à la conquête d'autres marchés.
Pour autant, approfondir leur évolution et leur positionnement au niveau français reste une tâche ardue, compte tenu de leurs réticences générales à communiquer. Un point crucial qui les différencie nettement de leurs homologues internationaux. Espérons que les mentalités changeront rapidement…
Cela étant, il y a deux points marquants qui ressortent de mon analyse :
- la forte concentration qui caractérise depuis des années le marché mondial de la traduction et des industries de la langue est en train de se reproduire au niveau français, et selon moi ce n'est que le commencement ;
- en France (on a déjà vu ça aux États-Unis avec Google qui a complètement révolutionné le domaine de la traduction automatique), l'arrivée dans la cour des grands d'un acteur totalement étranger à la traduction et aux industries de la langue - ORTEC - est une ligne de démarcation entre un AVANT (où le cœur de métier des différents acteurs était quand même l'industrie linguistique au sens large) et un APRÈS (où les acteurs dominants pourront également provenir d'autres domaines, tels que la finance, la gestion, etc.), un phénomène probablement précurseur de nouveaux bouleversements.
J'ai classé ces groupes par C.A. (déclaré ou estimé) et par ordre décroissant :
- ORTEC 1 Md€
- Ubiqus 60 M€
- Telelingua 17 M€
- Datawords Datasia 16 M€
- Linguistique Communication Informatique 15 M€
- Technicis 11 M€
- Tradutec 10 M€
- Optilingua International 10 M€
- ADT International 8 M€
- WHP INTERNATIONAL 7 M€
- HL TRAD 6 M€
- CPW Group 3 M€
* * *
1. ORTEC (CA : 1 Md€) (22 pays, dont France, Italie et Afrique)
Extrait du
communiqué de presse du groupe :
[Avec l'acquisition de Sonovision le 13 février 2014], le groupe indépendant Ortec franchira, en 2014, le cap du milliard d’euros
de chiffre d’affaires, employant plus de 8 600 collaborateurs répartis sur 160 implantations
en France et à l’International.
(...)
Sonovision, dont le siège est à Paris, est leader en Europe dans les services d’ingénierie logistique
et documentaire pour l’industrie aéronautique et spatiale. Le groupe réalise 120 M€ de chiffres
d’affaires, emploie 1 600 personnes, dispose de 17 implantations en France et de 7 filiales à
l’étranger.
Or en juillet 2003 Sonovision avait à son tour fait l'acquisition d'un
pure player, le groupe
GEDEV, en vue de renforcer son pôle traduction :
Cette prise de participation s'est faite par acquisition directe de titres et par l'apport de l'activité traduction du Centre Technique Parisien de SONOVISION-ITEP. Ces opérations permettent à SONOVISION-ITEP de détenir de l'ordre de 75 % du capital de la nouvelle société holding GEDEV International.
La société holding GEDEV International contrôle à 100 % trois filiales d'exploitation : GEDEV S.A., Biat et Netword.
Cette prise de contrôle de GEDEV International, nouvelle filiale de SONOVISION-ITEP, en fait le leader français de la traduction avec un chiffre d'affaires de plus de 7 M€. SONOVISION-ITEP franchit ainsi une étape supplémentaire dans la mise en œuvre de sa stratégie de développement. Ce nouvel ensemble dispose de la taille lui permettant de développer rapidement l’activité de traduction notamment auprès des principaux industriels européens.
Par conséquent, une décennie et quelques acquisitions plus tard, nous nous retrouvons avec
LE premier groupe français dans la traduction, ORTEC, totalement
inconnu au bataillon il y a 3 mois !
Avec un pôle spécialisé dans l’aéronautique et l'ingénierie, notamment dans les secteurs du nucléaire et de la chimie-pétrochimie, sans oublier l'expertise de GEDEV dans ses domaines traditionnels (Energie & environnement, Finance, Agroalimentaire, Cosmétique & luxe, Juridique, Marketing & communication, Santé, Techniques & IT, Interprétation, etc.).
* * *
2. UBIQUS (CA 60 M€) (Paris, Londres, Madrid, Waterford [Irlande], Zaventem [Bruxelles], New York, Los Angeles, Ottawa, Montréal, Italie)
Ubiqus est
un groupe français créé en 1991 (sous le nom de Hors-Ligne), qui a réalisé l'an dernier un chiffre d'affaires de
plus de 60 millions d'euros dans le monde, dont la filiale spécialisée depuis 2008,
TECTRAD, est depuis longtemps un acteur de tout premier plan dans la traduction juridique et financière. Il me semble cependant que le gros du CA est généré dans
d'autres secteurs que la traduction, il serait intéressant d'en connaître la répartition...
En tout cas, un groupe avec lequel il faudra compter !
* * *
3. TELELINGUA (CA 17 M€) (Bruxelles, Paris, Munich, New York, Shenzhen, Beijing, Tokyo)
Chiffre d’affaires du groupe en 2013 : 17,2 millions d’euros. J'ai donné une idée des résultats du groupe dans mon
dernier billet, mais l'écart entre le CA des deux groupes précédents et celui de Telelingua (et des groupes qui suivent dans le classement) s'explique probablement par la diversification des activités d'Ubiqus et, surtout, d'Ortec, là où Telelingua et les autres peuvent être considérés comme des "
pure players" de la
traduction, apparemment moins enclins que les deux premiers à diversifier leur métier historique. À suivre...
* * *
4. DATAWORDS DATASIA (CA 16 M€) (Hong-Kong, Tokyo, Seoul, Paris, Milan, Düsseldorf, Londres)
Une
note financière d'investisseurs ayant participé au tour de table de Datawords précise que le C.A. prévu en 2011 était de
16 millions d'euros (cf.
communiqué de Capzanine), pour ce groupe fournisseur de
services multilingues clé en main, très orienté communication online et référencement, y compris en
Chine.
Dans un précédent communiqué de presse (2009),
Alexandre Crazover, cogérant de Datawords, déclarait :
« Datawords a développé un modèle peu connu en Europe mais plus largement répandu dans les pays anglo-saxons : la localisation, c’est-à-dire la traduction et l’adaptation des éléments de communication des marques internationales pour l’ensemble de leurs marchés: sites Internet, Cdroms, brochures, vidéos, catalogues,… Ce service fait appel à des compétences linguistiques, marketing et techniques et permet à Datawords de mettre en œuvre sa capacité à dialoguer avec les diverses filiales d’une marque. »
En Chine par exemple, où
la guerre des moteurs de recherche fait rage après l'éviction de Google,
Datawords collabore avec Baidu :
* * *
5. LINGUISTIQUE COMMUNICATION INFORMATIQUE (CA 15 M€) (13 implantations en Europe, Afrique, Chine)
Le groupe,
présent sur trois continents avec un CA 2013 de
15 millions d'euros en hausse
de 15 % par an (10 % l'objectif fixé pour 2014), est un peu une spin-off de
la Maison du Dictionnaire, née comme SSI et qui se définit aujourd'hui comme
l'un des principaux opérateurs du marché dans le monde de la communication multilingue en France, avec une volonté de proposer à ses
partenaires une démarche industrielle qui réponde à leur besoin de communication technique multiculturelle.
Tiens, puisqu'on en parle, je ne saurais trop vous conseiller ce billet sur
les enjeux et la nature d'une communication multilingue, bien qu'il date un peu (2007), je le trouve toujours d'une grande actualité...
* * *
6. TECHNICIS (CA 11 M€) (Paris, Londres)
Créé par M. Eric du Fraysseix et défini comme «
groupe familial indépendant », je trouve le site "institutionnel" de Technicis un peu poussiéreux (le CA indiqué est celui de 2011, par exemple), un peu trop "plaquette publicitaire" du siècle dernier, mais sûrement pas à la hauteur des "ambitions internationales" affichées par le groupe. Un coup de jeune serait le bienvenu, car même si l'habit ne fait pas le moine, le site tel qu'il est renvoie l'image d'une agence de quartier plutôt que celle d'un groupe réalisant plus de
11 millions d'euros de CA...
* * *
7. TRADUTEC (CA 10 M€) (France, Belgique, Luxembourg)
Le site de Traductec est un peu plus intéressant que celui de Technicis, mais légèrement dépassé aussi :
Tradutec, fondé en 1962, est le leader de la traduction en France, avec un chiffre d’affaire de plus de 10 millions d’Euros...
Correction : «
Tradutec, fondé en 1962, est un des leaders de la traduction en France, avec un chiffre d’affaire (quelle année ?) de plus de 10 millions d’Euros... »
Certaines rubriques ont même l'air carrément
à l'abandon, et il faut donc se reporter au bandeau au bas de la
page d'accueil pour avoir une idée des différentes sociétés qui composent le groupe, et notamment les pôles juridique ou médical-pharmaceutique.
Cela dit ces sites ne sont pas à la hauteur de ces groupes, ils ont une philosophie dépassée, statique, sans aucune dimension sociale ni de création de contenus. Si quelque responsable me lit,
on peut toujours en parler...
* * *
8. OPTILINGUA INTERNATIONAL (CA 10 M€) (Autriche, France, Allemagne, Luxembourg, Portugal, Espagne, Royaume-Uni, Danemark, Suisse, Belgique, Italie)
Optilingua International fait encore mieux, en n'ayant
aucun site dédié ! Je renvoie donc le lecteur à ce que j'en disais dans mon
précédent billet :
Avec un C.A. moyen de 5 268 323 € sur la période 2009-2012, Alphatrad France est la filiale française du groupe franco-suisse Optilingua International, dont la brochure institutionnelle ne fournit malheureusement aucun chiffre intéressant sur les volumes d'affaires du groupe (ce qui semble devenir la règle...).
On a beau vouloir se positionner comme «
un des leaders internationaux de la traduction » et revendiquer des filiales dans une dizaine de pays, cette absence quasi-totale de communication institutionnelle proportionnelle à l'image de ce que devrait être "un leader international de la traduction" est vraiment paradoxale !
Franchement je trouve qu'il est anachronique de vouloir se présenter comme un "leader" d'une part, et de ne fournir de l'autre aucune information utile pour étayer cette prétention. C'est peut-être très franco-français cette manie, mais en aucun cas ce n'est satisfaisant, y compris pour les clients potentiels...
Quoi qu'il en soit, pour faire une estimation prudente, j'ai doublé le CA d'Alphatrad France, en supposant que les filiales des dix autres pays réalisent au moins autant que le bureau français.
* * *
9. ADT INTERNATIONAL (CA 8 M€) (France, Belgique)
J'ai expliqué dans
mon précédent billet comment je suis parvenu à ce chiffre d'affaires de
8 millions d'euros : autant d'après les données Infogreffe (
8 369 834 € sur la période 2010-2012, sans compter la société belge), que selon une
info financière de la société Linkers, nous informant que le C.A. était évalué en 2013 à 8 millions d'euros :
Cédric Loison, qui avait déjà vendu
Artinternet à Net.Works en 1999, a pu reprendre le contrôle d'ADT grâce à cette opération financière. Dans un livre écrit en 2010, intitulé "
Les Cartes de la Réussite - Patron, un métier qui s'apprend", il nous révélait :
J'ai créé ADT International, société de traduction qui a remporté un grand succès. Aujourd'hui, me voilà à la tête de cinquante salariés, avec un chiffre d'affaires de 10 millions d'euros, dont 5 millions de marge brute !
Il faut croire qu'il y a eu recentrage entre 2010 et 2013 (ce qui n'enlève rien à sa réussite, soyons clair)...
* * *
10. WHP INTERNATIONAL (CA 7 M€) (Sophia-Antipolis, Paris, Bratislava, Shanghai)
Autre groupe très axé vers l'international en général et l'Asie en particulier, je n'ai pu identifier qu'un C.A. dépassant
7 millions d'euros dans leur bilan au 31/12/2009, rien pour les années suivantes et pas grand chose non plus dans leur
brochure institutionnelle.
Bien que basé en France, le groupe communique plus volontiers en anglais : d'ailleurs leur site français est H.S., et la déclinaison dans les autres
langues ne m'a pas l'air en forme non plus !
Quand on parle des cordonniers les plus mal chaussés, il y a bien une raison...
Il se
différencie en se positionnant à mi-chemin entre les grands fournisseurs de services linguistiques et les agences traditionnelles : «
Compared with large LSP (Language Service Provider) and Translation Agency, WhP remains an excellent alternative », mais également sur des secteurs comme la
formation, les
jeux ou encore la localisation de contenus multimédias.
* * *
11. HL TRAD (CA 6 M€) (Paris, Bruxelles, Londres, Genève)
Spécialisé dans le droit, la finance et le conseil, le groupe déclarait «
un CA de près de 6 millions d’euros en constante croissance » (avec 2013 en hausse de
21,1% par rapport à 2012), en constatant sur son
compte Twitter que les avocats vont enfin être «
autorisés à recourir à la publicité ainsi qu’à la sollicitation personnalisée », ce qui ouvre naturellement de nouveaux horizons pour les consultants, pas seulement juridiques, mais aussi marketing et Web. Il y a là un marché potentiel significatif, et toute une stratégie à mettre en oeuvre, autant côté consultants que clients...
[
MàJ - 22 avril 2014] L'annonce vers laquelle renvoyait le lien étant périmée,
HL TRAD m'a demandé de le supprimer, dont acte ! (même si l'annonce, bien que périmée, témoigne encore de ce qu'à l'époque, HL TRAD communiquait sur 6 M€ de CA).
En attendant, l'entreprise dirigée par Éric Le Poole envisage de se développer à l’international avec l'ouverture de nouveaux bureaux en
Italie, Allemagne et Espagne...
* * *
12. CPW GROUP (CA 3 M€) (Paris, Londres, New York, Toronto, Montréal, Rio de Janeiro)
Nous voici enfin arrivés au petit dernier, dont j'évalue prudemment le CA autour de
3 millions d'euros, mais qui n'a guère évolué
depuis 2007 (2,136 M€) ce qui semble un peu en contradiction avec les annonces :
En effet, si l'on donne pour acquis
une hausse moyenne de 15 % par an de son chiffre d’affaires depuis 2005, le CA du Groupe devrait dépasser aujourd'hui 5 millions d'euros.
Donc puisque son fondateur, M. Philippe Willemetz, a laissé depuis 7 mois les rênes du marketing à son fils,
Alexandre, j'espère que cela se traduira par une évolution perceptible en termes "sociaux" et de rajeunissement des contenus.
* * *
Voici pour les groupes que j’ai retenus. Il se peut que j’en ai oublié, mais ce billet reste ouvert aux commentaires et à toutes les corrections.
D'aucuns trouveront peut-être que je n'ai pas été très prolixe sur chacun de ces 12 groupes, mais en réalité cela est dû à la rareté des informations qu'ils fournissent, voire d'une manière générale à la pauvreté de leur communication et de leur présence Web, tout à fait insuffisantes, selon moi, au regard des ambitions affichées :
leaders de ceci ou de cela, alors qu'en fait il suffit de l'arrivée d'un nouvel acteur totalement inconnu il y a trois mois encore pour les reléguer au rang de groupes de province, qui ressassent plus ou moins tous les mêmes choses, sans véritable capacité de différenciation, ou si peu...
Cela fait longtemps que je m'occupe des acteurs majeurs du Web, et il y a une critique que j'ai souvent faite à
Yahoo!, qui n'a jamais eu ni mission ni vision ! Idem pour les groupes que j'ai mentionnés ci-dessus, et dont j'aimerais bien connaître
quelle est leur mission / leur vision pour le futur, et sur la manière dont ils veulent tenir leur rôle et influencer le marché de la traduction en général, et en France en particulier.
Car compte tenu de leur présence actuelle, le CA ne peut pas tout faire, quand bien même il s'exprime en
millions d'euros, et il sera intéressant de suivre leur évolution, ainsi que les fusions, les scissions ou les concentrations auxquelles le secteur donnera lieu.
Un autre élément douloureux apparu dans
le fil de discussion ouvert sur les deux précédents billets concerne les
tarifs de certains de ces groupes, qui seraient en décalage par rapport à l’image qu’ils souhaitent renvoyer vers leurs clients, puisque, selon quelques collègues qui les connaissent en ayant déjà travaillé pour eux, certains sont connus «
pour ne pas payer très cher leurs traducteurs indépendants » en pratiquant «
des prix assez bas », ou encore pour avoir «
en commun de faire travailler leurs sous-traitants à des tarifs dérisoires et dans des conditions souvent déplorables (d'où leurs résultats "formidables") », voire pour faire preuve dans leur façon de travailler «
d'une organisation chaotique ».
Un gros bémol pour lequel
Sophie nous propose son interprétation :
J'allais tenter une explication détaillée, mais en fait, il y a un mot que tout le monde connaît et qui est très clair : low cost. Les fondateurs d'Aldi, de Lidl et de Ryanair sont millionnaires, donc il est prouvé que ce n'est pas un problème de faire de l'argent avec ce modèle-là.
Il faut aussi préciser que ce genre d'agence se positionne énormément sur les appels d'offres, y compris institutionnels, et les raflent presque tous. Leur crédo : prix bas, flexibilité sans limite et normes ISO, tout ce qu'il faut pour séduire les institutions en mal de budget. Et après, ils nous envoient des demandes pour l'UE à 6 ou 7 centimes le mot, pour lesquelles il faut une liste de compétences et d'expériences hallucinante, remplir des tonnes de papiers, etc. Sachant qu'au final, c'est quand même nous aussi qui finançons l'achat de ces traductions par l'UE par le biais de nos impôts !
Enfin, la seule certitude, c'est que les bouleversements ne font que commencer. À vos marques...
* * *
Poursuivons… Au même niveau de volumes d’affaires générés, nous trouvons en vrac
Transperfect, qui suit le mouvement avec un C.A. moyen de
3 382 655 € sur la période 2009-2012, mais comme précisé en début de billet, il s'agit avant tout d'un groupe mondial dont la France ne représente qu'un "petit" marché, juste devant
ALTO INTERNATIONAL,
3 381 309 € de C.A. calculé sur la seule année 2009. Autour des 3 millions €,
Agency Walker Services (C.A. moyen de
2 933 267 € sur la période 2010-2012), parfaitement
constante dans le temps...
Dans la tranche dépassant ou avoisinant les 2 millions €,
INTERNATIONAL CORPORATE COMMUNICATION (
2 021 331 € de C.A. moyen sur la période 2009-2012) qui totalise
2 687 125 € en y ajoutant les résultats de sa filiale d'interprétation, ALMA CORPORATE COMMUNICATION (
665 794 € de C.A. moyen sur la période 2009-2012).
Mentionnons ensuite
In Puzzle (ex
Caractères et Caetera,
traducteurs.com) avec un C.A. moyen de
2 247 287 € sur la période 2010-2013, et encore
SÉMANTIS (
2 100 130 € de C.A. moyen sur la période 2009-2012),
EUROTEXTE (
1 952 005 € de C.A. moyen sur la même période),
RAPTRAD IMAGINE (
1 870 060 € de C.A. moyen sur la même période),
AB REPORT (
1 869 824 € de C.A. moyen sur la même période),
Parlé Clair (
1 802 755 € de C.A. moyen sur la même période), etc.
* * *
Nous voici donc arrivés aux nombreuses sociétés dont le C.A. est proche du million ou s'exprime en centaines de milliers d'euros, mais il est inutile d'en dresser une liste qui n'apporterait rien de plus à cette analyse (surtout rapportée aux quelque
vingt mille sociétés/entreprises qui peuplent notre secteur...), qui restera forcément lacunaire mais dont l'aspect le plus marquant, en ce qui me concerne, réside en
la concentration des acteurs en groupes pour la plupart transnationaux.
Cela vaut également pour une société de premier plan comme
Tectrad (dont les comptes ne sont pas publiés, ce qui explique son absence ci-dessus), qui fait partie aujourd'hui du groupe
Ubiqus, avec un
chiffre d'affaires mondial supérieur à 60 millions d'euros !!!
Par conséquent
le marché de la traduction en France ne représente plus en 2014 qu'une "petite" portion d'un marché mondialisé, où la traduction n'est plus qu'un service linguistique parmi d'autres, et pas toujours le plus important même s'il reste central : la société Lionbridge facture à présent
moins d'1 million € en France, contre près de
500 millions de dollars au niveau mondial en 2013...
Or une société pionnière telle que OPERA TRADUCTIONS, après être passée dans le giron de LINGUATECH et de BOWNE GLOBAL SOLUTIONS FRANCE, a finalement été acquise par LIONBRIDGE. Impossible par conséquent de délimiter en termes économiques le périmètre précis de l'activité "France", ou "français" de tels groupes.
Sans compter les domaines proches, comme l'exemple du français
Systran (qui a réalisé un
C.A. de 5 à
7 millions € au fil des ans, avant de
devenir ... coréen depuis ...
quelques jours), ou de
Woods Media, mentionné en 2012 par
Common Sense Advisory, Inc. dans le top 25 des fournisseurs français de services linguistiques en Europe, qui déclare
8 176 624 € en 2012, mais dont l'activité principale est plutôt la post-production de films cinématographiques, de vidéo et de programmes de télévision...
Je m'excuse enfin auprès de toutes les sociétés qui auraient leur place dans ce tableau et que j'ai oubliées, mais
si leurs responsables me contactent en justifiant de leur C.A. je les insérerai bien volontiers.
Notre secteur manque cruellement d'analyses fiables et à jour, cela est sûrement dû à son atomisation et à l'évolution permanente de la situation (en regardant les noms de la
liste d'Anyword, beaucoup ont déjà disparu ou changé de casaque), donc si cette modeste tentative de tirer un peu les choses au clair sert à quelqu'un ou à quelque chose, j'en serai déjà fort heureux !
Car même si les fiches descriptives de l'INSEE me semblent largement déficitaires, l'une d'entre elles m'a
particulièrement interpellé :
Est-il possible qu'en France tout le secteur "traduction & interprétation" ne pèse qu'à peine plus d'1% de l'ensemble du secteur libéral en nombre d'entreprises, et d'un quart de point de son chiffre d'affaires ?
Tout cela me paraît largement et coupablement sous-estimé, et ne rend guère justice à une activité aussi fondamentale que l'est la traduction pour les échanges économiques, commerciaux et culturels entre les peuples !